mardi 27 juillet 2010

Night Ocean

Un texte est similaire à un tableau. Chaque mot est une couche de
couleur, une variation, une sensation. Mais à la différence d'un coup
de pinceau, un mot est un feu d'artifice dont l'explosion donne un
tableau sans cesse différent, existant en autant de formes que de
lecteur.
Alors commençons à peindre ce soir. Tout d'abord, la nuit. Devant nous la mer noire dont la forme sans cesse changeante est illuminée par un ovale de lumière argentée au loin. Cette lumière vient la lune timide qui se cache derrière de lourds nuages plus sombres encore que le ciel. Ceux-ci avancent lentement dans la voûte céleste, célébrant pour cette nuit leur possession du ciel.
Devant nous, au premier plan, l'écume blanche des vagues vient
caresser la plage. Tentant de nous atteindre un peu plus par cette
marée montante, elle annonce son arrivée avec ce bruit dont la
régularité fait partie des rythmes les plus anciens, les plus
immuables de notre planète. Parfois vif, parfois attendant quelques
instants pour mieux exploser, ce tumulte incessant n'est que le
battement du cœur de l'océan. Cette nuit, il bat calmement imposant à tous ceux qui le regardent un silence tranquille. Il est ce chaos organisé, cette berceuse pour les songes et les pensées.

Et là, les mots font leur office. Entrons dans ce tableau. Tout commele feu, l'eau nous renvoie à une autre période. L'homme a observé, fasciné, le premier feu dans la nuit. Des millénaires plus tard, cette
mer de Corail (bien qu'elle se fiche bien du nom dont elle a été affublée) renvoie à ces mêmes pensées. Elle sera encore là quand nos pas nous mèneront ailleurs et nous accueillera indifférente quand nous
la resaluerons.
Cette mer, si Poséidon me faisait une faveur, me permettrait de rejoindre les miens. Elle est le lien, le point commun entre tout et les Princes d'Ambre le savent bien.
Maintenant, les nuages laissent un peu à la place à la lune. Je ne suis pas Cyrano mais je ne peux m'empêcher de la regarder. Là-bas, en terre de France, son visage semble nous sourire. Ici, en Terra
Australis, il n'y a plus de visage. Elle porte un autre masque. La Grande Ourse, l'Ursa Major, a aussi refusé de faire le voyage avec moi. A la place, une Croix du Sud, Southern Cross me pousse à regarder
encore plus vers le Sud. Je ne devrais pas trop. J'ai déjà la tête en bas, je risquerais cette fois de tomber tout court.

Derrière nous, hors du tableau, un oiseau qui me fait penser à une petite cigogne et qui ne sort que la nuit, à la recherche de nourriture laissée par les touristes. Il m'a vu et se cache dans l'ombre des palmiers. Dès que je vais vers lui il s'enfuie à grandes enjambées pour revenir dès que je lui tourne le dos.
Les nuages, les vagues, cet oiseau, la lune, tout n'est que mouvement. Tout tourne autour de nous. Pourtant ce tableau est fixe. Emprisonnant et capturant ce mouvement.
Jusqu'à ce que nous regardions ailleurs.

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