lundi 15 octobre 2007

Et là, on ne rit plus.

8h15 ce matin. Comme tous les lundis, le sommeil embrume encore l'esprit. Je pense dans les rangs pour vérifier le travail à faire pour le lundi. Les élèves discutent au fond, quelques rires que je sanctionne de mon regard. Tout est normal quand soudain, un cri qui n'en est pas vraiment un. "MONSIEUR!!". Je me retourne, Anais et Marjorie (noms modifiés) qui discutent toujours au fond m'appelle. Je ne comprends pas. Je capte un mouvement que je n'analyse pas encore. Etienne, juste devant elle, commence à se casser la figure sur sa chaise. Mais mon cerveau me dit: il ne tombe pas NORMALEMENT. Et là tout va très vite. Les chaises bougent, le stables bougent, tout le monde se recule. Etienne est pris de spasmes. Son corps se raidit, tremble comme si quelque chose voulait sortir de lui. Je vais vers lui, je ne sais pas quoi faire. C'est de l'épilepsie, oui c'est de l'épilepsie, OUI ET ALORS ON FAIT COMMENT!
Son corps est lourd, il ne cesse de trembler frénétiquement. Je tiens sa tête, je lui parle. Les élèves ne comprennent pas, puis ils réalisent. J'en oublie leur noms. Je dis au premier d'aller chercher les surveillants, j'en envoie un autre chercher le CPE, puis un autre l'infirmière (qui n'est pas là) et il est toujours là. Le silence se fait. Il n'y a que ses râles. Puis ils se font plus forts, bien plus forts et une tâche rouge sort de son nez. Des élèves se sentent mal, rient de nervosité. Je leur dis de sortir et au même moment, Michel vient m'aider. Je ne comprends pas trop mais sur le coup de je ne dis rien. Je me rappelle qu'il est pompier volontaire. Il écarte les tables et me demande s'il veut que je l'aide. Il parle. Il ne répond que par des râles. Et il se passe alors quelque chose d'effrayant pour tout le monde. Dans un râle plus fort, il tente de se lever. il balaie le sol de ses bras et étale alors tout le sang qui macule son pull blanc. Il se relève. J'essaye de l'en empêcher mais comment faire? Quelle va être sa réaction? QUELLE VA ETRE SA REACTION? ET MOI, IL NE FAUT RIEN MONTRER,ILS SONT TOUS PANIQUES.
Je le sers plus fort mais il a le temps de s'affaler sur une table, son sang éclaboussant un cahier. Il ne parle pas, il mugit. Je finis de faire écarter les tables. Dehors on court. Les adultes rentrent dans la pièce. Michel propose son portable pour appeler les pompiers. Ils vont mettre dix minutes. Dix minutes pendant lesquelles le corps d'Etienne ne va cesser de se réveiller par secousses pour se rendormir aussitôt. Des élèves pleurent, la classe est un champ de bataille. Je le tiens. Je le tiens. Je le tiens car je ne sais rien faire d'autre.
Enfin ils arrivent. Michel leur donne des infos, moi aussi mais ils sont déjà à l'oeuvre et ne nous écoutent pas. Etienne est un élève tout gentil, consciencieux. Ils me demandent s'il fume. Je réponds que ce n'est pas le profil.
Ils lui parlent fort, sans trop de ménagement presque, lui disant de se calmer. J'admire leur savoir. Le brancard arrive. Le bâtiment bouge, ils ont vu le camion. Je sors un peu et tous les élèves sont là, attendent. En tombant, Etienne s'est heurté la tête contre la table des filles puis contre le sol, d'où le sang. Les pompiers me disent qu'il ne faut pas stimuler (parler etc..) à quelqu'un qui fait une crise, sinon ça peut en provoquer d'autres. Il faut juste tenir la tête pour que la victime ne se fasse pas de mal supplémentaire.
Bientôt il part,les élèves refusent de rentrer en cours. Je leur dis d'aller chercher leurs sacs. certains refusent d'entrer, d'autres évitent la tâche. Les yeux sont rougis. Je leur dis juste d'être gentils avec Etienne quand il reviendra. Ils partent.
Je ferme la porte de la classe. Elle n'en a plus que le nom. Dehors, l'air est frais.

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